Cet entretien est un apport de cet article et le cinquième d’une série de six entretiens. Lisez la partie précédente en cliquant ici.
Et sur la non-violence ?
Benoît : La non-violence, c’est déjà admettre que la colère et la violence sont des réalités qui habitent nos vies personnelles et nos sociétés, et se demander d’où vient cette violence. Lanza del Vasto répond que son origine est le péché originel, qui est défini comme l’esprit de profit et de domination, l’esprit de prédation sur les êtres et les choses. La non-violence va être la conséquence d’une conversion, la recherche d’une vie qui ne nuit pas.
Robert : Ce qui implique des tas de choix. L’agriculture biologique est dans la démarche de la non-violence. Le choix de la médecine douce, à partir de l’alimentation et des plantes, d’un certain mode de vie. L’éducation des enfants. Les modes de décisions de la communauté, qui ne sont pas sur un principe de vote à la majorité mais dans la recherche de l’unanimité, nous essayons de ne faire une seule âme, d’être profondément d’accord sur nos choix. C’est un vrai cheminement dans la pratique de la non-violence.
Benoît : Il faut peut-être souligner que la non-violence s’oppose, dit Lanza, au moins autant à la guerre qu’à la paix.
Robert : Je crois qu’il faut que tu expliques, là ! (rires)
Benoît : Dans le sens où la paix de nos sociétés n’est souvent que la préparation de la guerre ou son prolongement. Nos économies libérales sont des façons de faire la guerre aux autres pays, à la nature, sans parler des rapports de domination dans les pays mêmes.
Robert : Il y a des gens exploités…
Benoît : Et le commerce des armes qui est le premier commerce au monde. Mais il y a déjà pas mal de chômage, alors si on devait licencier tous ceux qui servent à la construction des armes, on aurait une société avec peut-être la moitié de la population active au chômage ! Voilà donc l’objection à la paix qui prépare la guerre.
Et quand la violence vient de l’extérieur, comment réagit-on en non-violent ?
Robert : Tu veux dire s’il y a un fou furieux qui arrive ici et qui essaie de nous tuer ?
Par exemple. Ça peut prendre plein d’aspects !
Robert : C’est vrai qu’il n’y a pas de recettes miracles.
Elisabeth : On ne sait pas comment on réagirait !
Robert : Il y a des situations que l’on a pu vivre chacun, en communauté ou à l’extérieur, des situations de violence où toute notre vie nous a préparés à trouver le mot juste, à poser le bon acte… C’est le Saint-Esprit qui agit à travers nous de toute façon, mais on a été préparés.
J’ai le souvenir d’un prisonnier qui était venu à la Borie Noble (communauté-mère, NDLR) et qui me courait après avec un grand couteau. Je ne sais pas ce qui m’a pris, je lui ai dit « Mais viens m’aider à couper les légumes ! ». (rires) Eh bien il est venu m’aider, ça l’a arrêté ! Bon, là c’était quelqu’un qui était profondément malade, c’est un exemple.
Mais la non-violence, c’est aussi et d’abord avec nos frères et sœurs, en communauté. Il y a des conflits, des choses pas faciles, des tendances de prises de parti et de jugements… On ne naît pas non-violent ! On essaie de le devenir, c’est un chemin. Nous ne sommes pas parfaits mais on cherche à se perfectionner, c’est un combat. La non-violence pure, ça n’existe pas.
Elisabeth : Une attitude non-violente est d’abord une attitude de profond respect envers l’autre quel qu’il soit et quelle que soit son attitude, et cette certitude qu’il est autre que ce qu’il montre, que ce qu’il vit. Si, dans une situation extrême, tu as ces reflexes parce que tu t’es entraîné, que c’est quelque chose qui t’habite profondément parce que tu sais qu’il est homme, qu’il a effectivement cette part d’ombre qui le fait éclater totalement, mais qu’il a aussi une autre part, une autre petite semence, c’est cette part-là que tu vas essayer d’interpeller. Quand tu fais ce chemin de recherche, tu trouves l’attitude où le rejoindre.
Benoît : Parfois, la non-violence demeure une voie empruntable quand la violence ne l’est plus.
Evidemment, si tu tombes sur un fou furieux qui tire à la Kalachnikov dans la foule, si tu peux intervenir, tu essaies de l’arrêter. Mais si ces mêmes individus débarquent dans ton imprimerie, ayant déjà fait un carnage, avec le RAID, le GIPN, la BRI qui sont dehors et attendent de faire le carton… Tu es là, avec ces individus qui ont déjà tué et qui n’ont aucune raison de ne pas continuer avec toi, qu’est-ce que tu fais ? Eh bien le réflexe d’un imprimeur a été de panser la plaie d’un des frères Kouachi et de leur offrir un café. Ce gars est encore vivant ! Il aurait dû être descendu, soit par les terroristes soit pendant l’assaut. Et ils l’ont laissé vivre. Il a réussi à trouver autre chose chez eux. C’est surprenant ! Lui n’avait aucune solution d’un point de vue violent, ils étaient deux en face, armés. Il ne pouvait rien faire.
Robert : Dans l’Arche, il y a un vœu d’obéissance, mais il y a aussi un vœu de désobéissance. Parfois, il faut désobéir, car obéir serait aller à l’encontre de l’obéissance à ta conscience et à Dieu, à la règle ou au responsable. Il y a un espace sacré dans la personne qui est sa conscience, et c’est ça qui va déterminer la décision. C’est ce travail intérieur qui va permettre de donner une vraie réponse. Parfois, il faut avoir le courage de dire « Non, ce n’est pas juste ! », même face à cent personnes. Parfois, c’est la personne qui a dit non face à cent personnes qui a raison, et parfois les cent personnes le reconnaissent.
C’est pour cela qu’on peut être amené à vivre la désobéissance civile, et que nous sommes prêts à faire de la prison ! Plusieurs personnes dans l’histoire de l’Arche ont fait des années de prison à cause de leur lutte contre de grandes injustices. Notre vœu de non-violence peut nous amener à désobéir à la loi, parce que les décisions des gouvernements ou des grandes entreprises économiques ne sont pas toujours dans l’esprit de la vérité, du respect de la vie et des personnes.
L’Arche du Gwenves
Vous vous êtes séparés de la communauté-mère de l’Arche. Pour quelles raisons ?
Elisabeth : Il y a eu en 2005 une restructuration de l’Arche suite à de nombreux départs. Une analyse institutionnelle a été faite, et de nombreuses modifications ont été apportées (…).
Dans le prochain article, vous découvrirez la situation concrète de l’Arche du Gwenves.
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