Alors que dimanche prochain, les électeurs de la droite et du centre voteront au premier tour de la primaire, Jean-Frédéric Poisson semble sortir du lot. Se disant anti-libéral, assumant sa proximité avec « l’extrême-droite » sur de nombreux sujets tout en ayant un programme très social, il surprend souvent par ses prises de positions inhabituelles. S’il parle dans son programme d’une « crise écologique majeure », il s’attarde assez peu sur ce sujet par la suite. Il a accepté de répondre à mes questions à ce sujet.
Vous êtes candidat à la primaire de la « droite » et du « centre ». Que veulent dire ces mots pour vous ? Où vous placez-vous sur l’échiquier politique actuel ?
Je pense que la droite a renoncé à être ce qu’elle devrait être. Je prétends, dans cette campagne, donner un coup de fouet aux familles politiques de la droite et du centre pour qu’elles assument ce qu’elles sont. Une partie de la désaffection de l’électorat qui se portait majoritairement encore sur ces familles politiques il y a quelques années tient au fait que nous n’assumons plus, ou plutôt une partie d’entre nous, n’assume plus que la droite a une fonction sociologique qui est d’être un parti conservateur. C’est ce qui fait l’identité de ces familles de la droite et du centre, au sein desquelles le Parti Chrétien Démocrate que je préside, considère qu’il faut, à côté des thèmes conservateurs, ajouter une partie qui soit plus sociale et moins libérale ou moins marchande.
Vous parlez dans votre programme de « la domination du libéralisme libertaire ». Que voulez-vous dire par là ?
Je veux désigner par là l’alliance de deux logiques qui plongent leurs racines dans une philosophie commune : le refus de la limite.
Il s’agit d’une part de la contestation de toute forme d’autorité dans son principe et de la volonté de faire primer liberté individuelle sur toute autre forme de considération, notamment collective et d’autre part la domination de la logique de marché et de consommation.
Je pense qu’il faut s’opposer à ces deux logiques, et plus encore quand, comme c’est le cas aujourd’hui, elles travaillent de concert à fragiliser les fondements de notre société, c’est-à-dire le respect de la dignité de chaque personne.
Vous parlez dans votre programme de « déséquilibres écologiques », sans y revenir plus tard. A quels déséquilibres pensez-vous, quelles en sont les causes et comment les réguler ?
Nous constatons aujourd’hui que nous sommes entrés dans une ère nouvelle où, par son action, l’homme est devenu capable d’influencer le cours de l’histoire naturelle. Ce n’est pas d’abord pour la planète que je m’inquiète, mais pour les conditions nécessaires à l’homme pour vivre conformément à ses besoins.
Je crois que la cause fondamentale de ce phénomène est liée au refus des limites auquel nous faisions référence précédemment. Nous devons changer radicalement notre manière voir le monde. Cela se joue notamment dans la consommation, qui est devenu le mode quasi exclusif de rapport au monde et aux autres.
Avez-vous lu l’encyclique Laudato’ Si ? Qu’en avez-vous retenu ?
Bien sûr ! Je pense d’ailleurs avoir lu toutes les encycliques, qu’elles soient théologales ou sociales. Elles sont pour moi une grande source d’inspiration.
Ce qui m’a particulièrement intéressé dans Laudato’ Si, c’est la question de la frugalité, c’est-à-dire notre rapport à la consommation des biens matériels, qu’ils soient naturels ou artificiels. Le problème de l’homme contemporain, c’est le consumérisme ! L’homme n’a plus avec le monde un rapport de service mais un rapport de consommation ! Y compris avec les autres personnes. Nous sommes face à un problème majeur d’attitude intérieure par rapport au monde qu’il s’agit de modifier. Le politique peut bien sûr aider pour opérer ce changement – et même il doit le faire -, mais ce ne sont pas les lois seules qui vont le faire, mais l’éducation, la prise de conscience collective, la culture partagée… C’est cette éducation à la frugalité qu’il nous faut engager pour faire face à la crise écologique.
Tous vos adversaires dans cette primaire parlent sans cesse de relancer la croissance, quand le Pape François appelle dans Laudato’ Si à « une certaine décroissance dans quelques parties du monde, mettant à disposition des ressources pour une saine croissance en d’autres parties ». Le terme « décroissance » vous parle-t-il ?
Face au défi écologique, la « croissance verte » ne suffit pas. Il faut changer de paradigme. Je défends un modèle économique tourné résolument vers l’emploi, le respect du travailleur, les circuits courts et la qualité des produits. C’est dans cette perspective que je suis résolument opposé à la signature du traité de libre-échange TAFTA.
Quel regard portez-vous sur la politique menée ces dernières années en matière d’écologie ?
Je pense que c’est révélateur d’une prise de conscience générale des risques que nous encourons collectivement. Néanmoins, encore une fois on ne peut pas demander à la politique de régler un problème aussi profond que celui de notre rapport au monde. Il s’agit bien plutôt d’entrer collectivement dans un nouveau paradigme dans lequel on cesserait de voir la nature – et j’entends par là autant les questions environnementales que les questions ontologiques – comme un décor malléable que les hommes pourraient faire évoluer sans qu’il y ait de conséquence pour eux. Ce que nous apprend la crise écologique, c’est à cesser de penser le monde sous un rapport de domination utilitariste. C’est un travail de longue haleine dans lequel l’éducation et la culture ont un rôle majeur à jouer.
Comment vous placez-vous par rapport aux grandes luttes écologiques qui se produisent en France actuellement (aéroport de Notre-Dame-des-Landes, site d’enfouissement de déchets nucléaires à Bure, lignes LGV Lyon-Turin, barrage de Sivens…) ?
Je suis scandalisé des procédés utilisés par les zadistes pour faire entendre leur point de vue. Je suis résolument opposé à leurs méthodes dans la mesures où ils occupent l’espace public sans autorisation, où ils empêchent les autres d’exercer leurs droits, ne respectent pas les décisions publiques, s’attaquent aux forces de l’ordre et veulent faire régner leurs idées par la violence. Je fais bien entendu la différence entre les militants de bonne foi, et les agitateurs professionnels. Néanmoins, ni les uns ni les autres n’ont le droit de d’occuper illégalement l’espace public.
Quel regard portez-vous sur ce qu’il se passe dans la ZAD de Notre-Dame-des-Landes ? Des expériences de société de ce type sont-elles envisageables pour vous ? Dans quelles limites ?
Il aurait fallu depuis longtemps faire évacuer ces lieux, car nous sommes en face, pour un certain nombre d’entre eux, d’agitateurs professionnels qui entendent faire régner par la violence un ordre qui n’est pas l’ordre public ni démocratique. Ce n’est, de mon point de vue, pas acceptable.
Je tiens à remercier Monsieur Poisson d’avoir accepté de répondre à ces questions malgré son emploi du temps très chargé. Je ferai probablement dans un prochain article une analyse de certaines de ses réponses.
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