Antoine : La Manif pour tous a peut-être été un élément déclencheur, oui. C’est-à-dire que nous avons été comme effrayés devant la vague de ceux qui revendiquaient le « mariage pour tous ». Et cela nous un peu sortis de notre sommeil politique. C’est la rencontre avec les Altercathos à Lyon, avec Gaultier Bès et Marianne Durano, qui a été un choc. Parce que moi, j’étais un peu dans ma retraite philosophique spéculative, et j’ai notamment pris conscience que ce que j’avais engagé par mon mariage était une chose très fragile, qui me semblait naturelle et évidente alors qu’elle était contestée en étant considérée comme une convention sociale, soumise à toutes les vicissitudes des caprices humains et politiques. À ce moment-là, il y a eu dans le sillage de LMPT le vocable d’écologie humaine, qui a été inventé par Tugdual Derville je crois…
Inventé, non, mais repris.
Antoine : Oui, repris. Donc, je me suis interrogé sur l’analogie qu’il y a entre des domaines divers. Et de loin en loin, nous en sommes venus à nous demander quel était le dénominateur commun entre la GPA, les OGM, les pesticides, la défiguration des paysages, l’alimentation frelatée et de mauvaise qualité, notre déracinement spirituel, etc. Et alors là, le point commun m’est apparu, à la fois en positif et négatif : en négatif, c’est l’ultra-libéralisme, et en positif, ce qu’on peut appeler l’écologie intégrale.
Pour moi, l’encyclique n’a pas du tout joué, si ce n’est par l’influence de François [Nollet], parce que j’avoue que je n’ai pas trouvé Laudato si’ très digeste…
François : Sans doute parce que c’est une encyclique qui ne nous mâche pas le travail : c’est à nous de faire ce travail. C’est à nous d’arriver à penser et à déterminer de quelle manière tout est lié. C’est ce que nous voulons faire ici aussi comme travail intellectuel.
Mais entre la réflexion, la conversion personnelle ou familiale et l’éco-hameau, il y a un fossé !
François : Oui ! En 2015, après la publication de Laudato si’, l’idée du projet a germé. J’ai écrit une charte que nous avons tous relue et corrigée lors d’une semaine passée ensemble, les Jamain, les Nolle et les Scherrer, à Noël 2015. Nous avons ensuite écrit à tous les évêques de France en leur présentant le projet…
Antoine : En fait, c’est François qui a écrit la charte parce qu’il a une pensée distincte. Mon idée était beaucoup plus vague, elle correspondait plutôt à une espèce de rêve. Et un rêve, on ne peut pas vraiment le définir, si ce n’est par la négative : nous voulions nous évader de la vie qu’on avait là avec tout ce qu’elle impliquait. Nous imaginions quelque chose de rural, de joyeux, avec le parfum du roman L’éveil de Mademoiselle Prim : une ancienne bibliothécaire citadine avec un bon salaire qui se retrouve dans un petit village, avec des personnages pittoresques, où elle regoûte le charme de manger du bon pain, de faire du latin parce qu’elle en a envie… C’est la sortie d’un paradigme. Et donc pour nous c’était ça, quelque chose qui avait une odeur, un parfum, quelque chose de romanesque ! Il n’y avait rien de distinct. À la limite, on avait même du mal à se mettre à l’écologie, parce que cultiver des légumes, ça nous disait quelque chose, mais faire le tri sélectif, on en a rien à faire. Mais on essaie petit-à-petit…
François : Et nous avons reçu un accueil assez favorable de la part de la majorité des évêques, qui soit nous ont proposé des lieux, soit nous ont répondu en disant qu’ils n’avaient pas de lieu mais qu’ils encourageaient notre initiative. Nous avons donc visité quelques lieux et avons fini par choisir, en accord avec nos épouses, La Bénisson-Dieu, un village cistercien abritant une magnifique abbatiale et dans lequel le diocèse de Lyon possède quatre maisons qui serviront de maisons d’accueil à l’éco-hameau une fois rénovées de manière écologique. Et notre idée est d’acheter ou de louer d’autres maisons dans le village, pour nous et pour ceux qui voudraient nous rejoindre, et de non pas construire un projet à côté du monde mais de réintégrer un village déjà existant pour le revivifier de l’intérieur.
Antoine : Voilà, ça, ça correspondait déjà plus à ce que j’imaginais ! L’écologie étant un moyen parmi d’autres. Je suis assez rétif à l’emploi du vocable d’éco-hameau, parce que c’est rajouter une étiquette sur quelque chose qui est beaucoup plus intéressant, à savoir le mot lui-même. Tu vois, « hameau » ou « village », c’est suffisant ! Dire « éco », c’est redondant. Mais comme le dit Fabrice Hadjadj dans L’Aubaine d’être né en ce temps, notre société a perdu le sens de la nature et des évidences, il faut donc en rajouter pour que notre intelligence soit de nouveau mobilisée. Ça interroge les gens : qu’est-ce qu’un éco-village ? C’est comme : qu’est-ce qu’une éco-famille ? C’est une famille vraiment familiale ! Il n’y a pas d’éco-famille. Ou même certaines familles qu’on a pu rencontrer -zéro déchets, énergies renouvelables – ne sont pas forcément des familles vraiment familiales. Elles peuvent être au contraire complètement libérales au sens économique : on cherche l’efficacité, le rendement, on se demande pourquoi on fait des bébés alors qu’il serait beaucoup moins polluant de ne pas en faire, etc.
François : En effet, un hameau est un oikos, donc il suffirait de s’appeler hameau si les gens comprenaient le sens de ce mot. Mais lorsque nous rajoutons « éco », nous l’entendons au sens d’écologie intégrale : le but est de faire comprendre que l’on essaie de retrouver le sens originel de ce qu’était, de ce que doit être un hameau.
A SUIVRE !