Cet entretien est un apport à cet article.
Tout d’abord, quel a été, en deux mots, votre parcours avant d’entrer au monastère ?
C’est long, mais je vais essayer de faire court ! En grande quête spirituelle pendant mon adolescence, je me suis lancé dans la philosophie pour répondre à la question de l’existence de Dieu, rien que ça ! Accompagné par un maître catholique, j’ai alors pris conscience que ce n’est pas avec la tête mais avec le cœur et l’âme que l’on pouvait rencontrer Dieu. J’ai alors fréquenté des paroisses catholiques parisiennes, mais c’est dans le monde orthodoxe que j’ai été touché, en allant à la rue Daru (lieu emblématique de l’orthodoxie française, au cœur du quartier russe, où se trouve la Cathédrale orthodoxe Saint-Alexandre-Nevski). J’ai alors éprouvé le besoin de me sentir petit, de m’humilier, j’avais besoin d’un truc extrême pour continuer mon chemin. Je suis alors parti au Mont Athos en Grèce pour devenir moine, et j’y suis resté vingt-deux ans. J’ai ensuite été envoyé en mission ici et j’y suis resté.
J’ai cru comprendre que vos activités étaient multiples. Quelle est donc votre mission ici ?
Je suis arrivé ici pour la construction de la cave qui avait été conçue par un architecte moderne et j’ai été chargé de mettre en œuvre sa construction. J’ai ensuite embrayé avec les sœurs sur la restauration du mas, ce qui était primordial puisque de 1992 à 2006, les sœurs vivaient dans des conditions déplorables, sans isolation, avec quelques bidouillages rapidement réalisés pour avoir un semblant de « confort ». Simultanément, nous avons lancé la construction de l’église. Je suis d’abord là en tant que bâtisseur.
Comment avez-vous procédé dans votre travail de conception de l’église ?
On m’a d’abord installé SketchUp (logiciel de conception en 3D) sur un ordinateur pour m’apprendre à l’utiliser. Petit-à-petit, j’ai redessiné tout le monastère, pour avoir le plan de l’existant et y intégrer correctement l’église. Un ami architecte supervisait tout ça, mais c’est vraiment moi qui ai fait le travail, avec les conseils de Mère Hypendia. Nous avons ensuite obtenu le permis de construire, ce qui n’était pas gagné parce que ce n’est pas évident dans la région, mais le maire de l’époque était très favorable au projet.
Je fais également office de maître-d’œuvre en supervisant les ouvriers. Mais attention, quand on dit que c’est moi qui fais tout ça, il faut faire remarquer qu’il y a ici une grande cohésion entre Mère Hypendia, les sœurs et moi. C’est donc un travail collectif, la mère supérieure est très présente dans la réflexion et elle valide tout en amont.
Egalement avec les ouvriers, que je connais depuis longtemps par le Mont Athos et qui sont devenus des amis, il y une vraie coopération. Je supervise le travail, mais pas comme un maître de chantier tyrannique, ils ont leur mot à dire.
C’est également moi qui réalise les dessins des sculptures et bas-reliefs, je passe régulièrement à l’atelier pour donner des conseils dans la réalisation. A force de bosser avec ces gens-là, j’ai acquis un certain nombre de savoirs plus techniques qui me permettent de ne pas être trop à côté de la plaque quand je demande telle ou telle chose.
Vous vous chargez également des questions énergétiques. Quelles en sont les applications concrètes ?
Nous avons fait installer il y a quelques années une chaudière à bois déchiqueté. Je trouve cela intéressant puisque le gars à qui nous achetons le combustible le produit à partir de récupération de bois de déchetteries, ce qui revient beaucoup moins cher et permet d’utiliser intelligemment toute cette matière perdue. Il y a également très peu de fumée rejetée car la machine gère aussi les rejets pendant la combustion. Bien sûr, installer tout ça a demandé un gros investissement, mais ça valait le coup puisque ça nous coûte entre huit et neuf fois moins cher que le chauffage au gaz qu’il y avait avant pour une efficacité trois à quatre fois supérieure.
Y a-t-il des projets d’évolution ?
On nous avait proposé le photovoltaïque mais les sœurs n’ont pas voulu puisqu’une cellule photoélectrique coûte plus d’énergie à sa fabrication qu’elle ne pourra jamais en produire.
J’ai cru comprendre que cela évoluait plutôt dans le bon sens aujourd’hui.
Peut-être mais je ne pense pas que ce soit encore bien géré.
On a également un projet d’eau chaude solaire, mais le problème c’est l’investissement, il faudrait qu’on le fasse nous-même… Mais pour l’instant, on a suffisamment de travail avec la gestion de l’existant. Ça viendra probablement un jour, je fais des études là-dessus.
Vous impliquez-vous également dans le travail de la terre ?
Jusqu’à présent, pas tellement. Mais vu qu’on se rend compte actuellement qu’il nous manque quelqu’un au jardin, je vais probablement à l’avenir m’occuper des gens comme toi qui viennent passer quelques jours pour filer un coup de main. Jusqu’à présent, c’était le père Silouane qui s’occupait des vignes et du jardin avec une novice, mais il est possible qu’elle ne reste pas. Donc je vais devoir m’organiser avec quelques sœurs – dans les rares qui ont encore un peu de temps – pour reprendre ça. Ce n’est pas évident à gérer à cause de la charge de travail et l’hospitalité qui nous prend beaucoup de temps, sans compter l’entretien quotidien des bâtiments et tous les petits services réguliers.
Nous avons aussi le père Ambroise, prêtre d’une petite paroisse au sud de Paris, qui vient régulièrement nous aider, mais il n’a pas une disponibilité absolue – de l’ordre d’une à deux semaines par mois. Son offre nous est réellement très agréable car nous manquons de mains et de temps.
Comment trouvez-vous l’équilibre entre tradition et modernité, ainsi que le vœu monastique de sobriété ?
Vu du monastère, il n’y a pas ces dichotomies qui sont de l’ordre de la mondanité, « travail – vacances » par exemple. Pour un moine, il y a du travail et des vacances tous les jours ! C’est pareil pour la question « tradition – modernité » : dans un monastère, il y a une Tradition, c’est tout. La modernité, c’est le monde qui nous entoure, les gens, les voitures, la carrière de pierre qui est en face et qu’on n’aime pas, mais qu’on accepte. Quand j’ai appris qu’il y aurait cette carrière, j’ai fait mon signe de croix en me disant que je n’étais pas mécontent que nous aussi, les moines, nous supportions avec tous les gens du monde les misères de notre époque.
Mais parlons modernité : l’Internet. Sans se braquer idéologiquement, nous y mettons un frein, naturellement. C’est-à-dire qu’on ne s’en sert pas si on n’en a pas un besoin absolu. Nous avons une box, mais qui ne marche que dans le bureau de la comptabilité. Je m’en sers de temps en temps pour trouver un outil sur le Bon Coin et pour recevoir des mails, mais je dis aux gens de ne pas m’en envoyer puisque je n’ai pas le temps de les regarder. Nous essayons d’utiliser au maximum le fax mais bon, c’est en train de passer de mode ! (rires)
Donc tout ça ne nous pose pas de problème, pourquoi ? Parce que la modernité devient un problème lorsqu’elle est consommée. Ici elle ne l’est pas puisque nous n’en avons pas besoin. Ou du moins très peu, et c’est vécu comme une contrainte. Je déteste devoir aller au bureau pour voir si j’ai un mail, je préfère que l’on m’envoie un texto. Tu me diras que le téléphone, c’est la modernité ! Mais par exemple on évite d’avoir des smartphones, puisqu’il y a trop de choses dessus, on peut y passer sa vie ! On en vit déjà trois ou quatre en même temps, ce n’est vraiment pas la peine d’en rajouter. On essaie de se concentrer sur notre vie quotidienne, qui est déjà assez profonde et riche pour nous réjouir. Elle n’est pas tracée dans un soupir mais dans un remerciement, dans une gratitude. C’est une vraie vie paysanne.
Quant à la sobriété, dans un monastère, elle passe par la propriété. Aucun moine, aucune moniale n’est propriétaire de quoi que ce soit dans son monastère, si ce n’est l’higoumène qui est la propriétaire administrative. Mais si c’est une vraie moniale, ce n’est pas vécu comme une propriété mais comme une gérance, comme un bien prêté qu’il faudra gérer et rendre. Les sœurs n’ont rien à elles, elles demandent l’autorisation pour une paire chaussettes. On évite ainsi la question de l’accumulation, du stockage, ce qui est le gros problème. S’il fallait faire une différence entre commerce et finance, c’est un peu ça : dans le commerce, on échange, on reste proche du troc même si ça passe par une monnaie ; dans la finance, on stocke, parce que c’est le stock qui va rapporter. Quand la spéculation rentre en jeu, on change de paradigme. Dans un monastère, il n’y a pas d’accumulation de propriété, donc on est tout de suite dans un monde de sobriété.
Tu as pu voir qu’on a pas mal de véhicules parce qu’on en a besoin pour les travaux et les marchés, mais tu remarqueras qu’ils ont plus de quinze ans chacun, et les sœurs y tiennent. Ce n’est pas la peine d’avoir une belle voiture, pour quoi faire ?
Le poisson que l’on mange puisque qu’on n’a pas droit à la viande est aujourd’hui plus luxueux que la viande, et les crustacés que l’on mange en période de Carême encore plus. Ce sont de vieilles traditions orientales puisque les crustacés, c’est ce que l’on ramassait au bord de l’eau alors qu’il fallait sortir en mer pour le poisson.
Et par exemple pour le tracteur, il y a une volonté de s’en passer un jour ?
Oui ! Pour le jardin, l’idéal serait de travailler un peu à la façon du Bec-Hellouin, entièrement à la main. Nous réfléchissons également à la traction animale, mais ce sont des contraintes en plus. Il nous faut réfléchir aussi à nos limites, le pragmatisme nous oblige à faire attention à ce que le travail ne prenne pas le pas sur la prière. Nous avons un petit tracteur pour le jardin, nous allons voir à quel point nous pouvons nous en passer ou pas. Le but final est évidement de réaliser cette orientation de peu ou pas nous mécaniser. Pour la cave, nous avons décidé de nous installer en semi-automatique parce que nous avons beaucoup de petites mains, de gens qui veulent aider, donc avec une bonne organisation, on pourra se priver de la rentabilité d’une machine.
Jusqu’à présent nous nous sommes beaucoup focalisés sur la restauration des bâtiments en laissant un peu le jardin de côté. Nous allons maintenant pouvoir passer dans la seconde phase et nous concentrer sur le jardin.
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