D’abord implantée dans le massif du Vercors, la communauté orthodoxe, fondation du monastère de Simonos Petra au Mont Athos, placée sous l’autorité du Patriarcat de Constantinople s’est installé à Solan (Gard) en 1992. Elle a alors dû se former au travail de la terre, dans le respect maximum de la Création.

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La première impression lorsque l’on passe la porte du monastère est celle d’une paisible effervescence. En quelques minutes, on croise des ouvriers travaillant sur le parvis d’une église en construction, deux prêtres cheveux longs noués et barbe au vent en train de passer le râteau au jardin, des religieuses entièrement vêtues de noir s’affairant entre les ateliers de transformation, trois jeunes tailleurs de pierre burin à la main et cigarette à la bouche et plusieurs stagiaires ou retraitants donnant un coup de main au jardin. Tout cela dans le calme, sourire aux lèvres.

Il est 11h15 ce lundi 13 mars lorsque je passe cette porte pour la première fois. J’ai prévenu de mon arrivée la veille au soir, les sœurs m’accueillent aujourd’hui les bras grands ouverts. On me sert rapidement un déjeuner puis on me présente ma chambre. Les lieux sont magnifiques dans ce mas de type provençal restauré avec soin, le mobilier est simple mais fait avec goût, en bois, des icônes sont accrochées régulièrement aux murs, on se sent immédiatement bien.

Je me prépare rapidement pour aller travailler au jardin avec le père Ambroise et Boris, un anthropologue marseillais habitué des lieux qu’il a découverts grâce à une de ses études sur le vin. Il est important pour moi de m’immerger quelques jours dans la vie du monastère avant de préparer mes questions et de commencer à écrire mon reportage. Première tâche, qui nous occupera quelques jours, préparation de tous les tuyaux pour installer le goutte-à-goutte qui permettra d’irriguer les légumes en continu sans gâcher d’eau pendant les grosses chaleurs des mois à venir. Chaleurs qu’il est déjà aisé d’imaginer grâce au grand soleil qui nous fait déjà oublier l’hiver.

Vers 17h, nous arrêtons le travail pour nous diriger vers la salle-à-manger pour le souper, qui est servi très tôt, particulièrement en cette période de Carême. Nous passons à table à 17h30 et nous nous régalons des plats amoureusement préparés par les sœurs, qui se fournissent en grande majorité dans les produits du jardin. Comment ne pas parler de la table, préparée à l’orientale ? Un nombre incroyable de petits plats argentés contenant toutes sortes de choses exquises, bien que très simples, Carême oblige ! Chaque plat est recouvert d’un petit couvercle, attisant plus encore ma curiosité naturelle : que vais-je découvrir en soulevant chaque couvercle ? A chaque place, une petite étiquette avec nos prénoms et une assiette contenant le plat principal. Chaque assiette est préparée individuellement en fonction des éventuels régimes, tout le reste est en libre-service. Un véritable plaisir visuel et gustatif !

Lors de ce premier souper, je fais la connaissance de Félix, jeune sculpteur sur pierre travaillant sur les bas-reliefs de l’église en construction. Ayant découvert le monastère en venant y passer une semaine avec ses camarades de formation il y a quelques années, il a vite oublié ses aprioris sur les religieuses et les prêtres chrétiens et est tombé amoureux du lieu et de l’ambiance qui y règne. Il revient depuis régulièrement travailler quelques jours au service de la communauté, sous la direction du père Théotokis qui a réalisé les plans de l’église et dessine tous les bas-reliefs de son chef-d’œuvre. Plusieurs fois par jour, le père Théotokis vient rendre visite à l’atelier et donne des conseils aux sculpteurs. Une réelle complicité est née entre eux, allant bien au-delà de l’aspect professionnel ! En effet, le père Théotokis est un puit sans fond de connaissances allant de la philosophie, la théologie et l’histoire religieuse au travail de la pierre, du bois ou de la terre, en passant par le dessin, la musique et la photographie. Egalement bon-vivant et plein d’humour, quiconque passe un moment avec lui ne voit pas le temps passer, trouve une oreille attentive et un joyeux compagnon.

Félix m’invite après le souper à visiter l’atelier où je passerai régulièrement lors de mes pauses au cours de la semaine, puis nous allons partager une bière à l’ermitage où il loge à quelques centaines de mètres du monastère, dans une jolie cabane en bois devant un verger en fleurs à cette période. Nous discutons jusqu’à 20h et je retourne dans ma chambre pour me reposer jusqu’au lendemain matin.

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A 8h le lendemain, après avoir pris mon petit-déjeuner, je me rends à l’atelier taille de pierre et j’y rencontre pour la première fois le père Théotokis. Nous nous présentons rapidement et, à ma demande, il m’explique brièvement l’orthodoxie, que je découvre totalement. Nous convenons de prendre un peu de temps lors de mon séjour pour approfondir mon apprentissage, puis je file me remettre à la disposition du père Ambroise au jardin, où nous continuons avec Boris la préparation du goutte-à-goutte jusqu’à 9h15. Je profite alors de la pause pour attraper mon appareil photo et aller à l’atelier. Félix m’explique un certain nombre de choses sur les différents styles et sur les techniques de taille de pierre, puis je l’observe travailler en prenant des photos. Je retourne en suite au jardin jusqu’au déjeuner, où le père Ambroise m’explique en quelques mots l’organisation des patriarcats dans l’Eglise orthodoxe.

Je prends ensuite un moment pour me reposer, lire et commencer à écrire mon reportage, avant de retourner au jardin en passant fumer une cigarette à l’atelier, où je rencontre Laura, une amie de Félix venant régulièrement avec lui aider à la sculpture. Nous travaillons avec Boris et le père Ambroise jusqu’à 18h, non sans prendre une pause goûter où nous continuons notre discussion du déjeuner sur l’organisation de l’Eglise orthodoxe. Nous dînons tous ensemble et rentrons chacun dans notre chambre. Je termine un article pour mon site et sombre dans un sommeil réparateur après cette journée riche en découvertes !

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Les journées suivantes se déroulent sensiblement au même rythme. Je découvre également les offices du soir avant de réaliser, avec la sœur m’ayant accueilli à mon arrivée, une série d’entretiens pour mon reportage. Celle-ci m’explique ne pas souhaiter que son nom soit cité puisqu’elle ne s’exprime pas en son nom propre mais au nom de toute la communauté. Ces moments de discussions sont très riches pour moi : la religieuse a su trouver une certaine aisance à présenter le monastère puisque c’est elle qui s’occupe généralement de recevoir les journalistes, ce qui lui permet de répondre clairement et simplement à mes questions, toujours avec un grand sourire et de belles expressions.

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Le monastère reçoit également le vendredi la visite de Pierre Rabhi. France 2 tournant un reportage sur lui, il a souhaité les faire venir à Solan pour illustrer son action. Dès le matin, une équipe vadrouille dans le domaine pour prendre des images. J’ai donc la surprise, alors que je m’occupe de pailler la terre sous une serre, de voir un drone me survoler avant de filer rapidement au-dessus des bois surveiller d’autres travailleurs. Pendant ce temps, une autre équipe s’occupe de suivre Pierre Rabhi et mère Hypendia, la prieure de la communauté. Juste avant leur départ, avec l’aide d’une sœur, j’arrive à aller me présenter à Pierre Rabhi et sa secrétaire en espérant pouvoir poser quelques questions pour mon reportage. Malheureusement, ceux-ci sont débordés et n’ont pas de temps à m’accorder cette fois-ci. Après leur avoir donné ma carte, la secrétaire m’ayant promis de me recontacter quelques jours plus tard, je les regarde partir à petits pas, au rythme du vieux sage de 78 ans au programme toujours si chargé qu’il a besoin de deux secrétaires pour gérer son emploi du temps.

C’est alors que le père Théotokis réussi à m’accorder quelques minutes pour commencer une interview, sans pouvoir me promettre qu’il aura un moment pour la terminer avant mon départ. Il faut dire que s’il manque de temps, il a tout de même des choses à raconter et prend son temps pour les raconter. Il mettra treize passionnantes minutes à répondre à ma première question, avant d’être rattrapé par son emploi du temps !

Je retourne ensuite me mettre à la disposition du père Ambroise et lui prête la main pour pailler une parcelle de pois grimpants. Mais, me demanderez-vous, en quoi consiste le paillage ? Le but est de recouvrir la terre de paille, pour une triple action : empêcher les herbes indésirables de pousser, protéger de l’évaporation et régénérer la terre par le compostage de la paille, grâce aux milliers de petites bêtes qu’elle apporte avec elle. Une terre nue étant une terre morte, le paillage fait ici partie des objectifs prioritaires.

Il faut aussi préciser que le labour conventionnel a été banni des pratiques du monastère, car celui-ci, en retournant la terre sur des profondeurs pouvant aller jusqu’à quarante centimètres, mélange et fait remonter des couches n’ayant pas vocation à voir le jour. Ce type de labour, souvent combiné à une exposition de la terre au soleil et à l’ajout de produits chimiques, contribue à tuer la terre. A Solan, la terre est retournée le moins possible et sur une profondeur de cinq à dix centimètres maximum, avant d’être paillée le plus rapidement possible. Le tracteur utilisé est également de petit gabarit pour éviter de tasser trop la terre et de former ce qu’on appelle une semelle de labour (couche de terre compacte se formant en-dessous du labour et empêchant l’eau et les racines de passer convenablement).

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Le lendemain matin, je passe une heure avec le père Silouane pour faire un petit tour des parcelles les plus éloignées du monastère, essentiellement des vignes et de la jachère servant parfois de pâtures aux chevaux d’un voisin. Sur un domaine d’une soixantaine d’hectares, les bois occupent quarante hectares, laissant la possibilité de cultiver une vingtaine d’hectares. En prenant en compte les différentes constructions et certaines zones inaccessibles ou volontairement laissées à l’état naturel (points d’eau et zones humide notamment), le père Silouane estime à douze hectares les terres cultivables. Les anciennes vignes ont petit-à-petit été remplacées par des vignes de meilleure qualité par la communauté. Là aussi, étant hors-de-question de laisser la terre nue, plusieurs solutions sont mises en œuvre : le paillage, les engrais verts et l’herbe. J’ai déjà expliqué le principe du paillage plus haut, voici brièvement l’explication des engrais verts : le principe est de semer sur une parcelle des plantes qui apporteront à la terre les éléments dont elle manque et dont la production aura besoin. Pour les vignes, le monastère a décidé de semer entre les rangs un mélange de moutarde, de trèfle et d’orge, qui sera couché à terre lorsque les pousses faibliront pour servir de paillage. Certaines plantes, dont le trèfle, se ressèment d’elles-mêmes pendant quelques années, évitant d’y revenir trop souvent. Quant à l’herbe dans les rangs, cela ne nécessite aucune intervention humaine et permet de garder le sol couvert.

Plusieurs vergers ont également été plantés par la communauté, dont des cerisiers, des abricotiers, des oliviers, des mûriers, des pêchers, des pruniers, des pommiers et toutes sortes d’autres arbres fruitiers. Il faut savoir que pour la vigne comme pour les vergers, on compte en général trois ans après plantation pour les premières récoltes, cinq ans pour que ce soit réellement productif. Il faut donc avoir une vision à long terme !

Dans les vergers comme dans le maraîchage, l’idée est de faire des associations de plantes, selon les principes de la permaculture : mettre ensemble les espèces qui s’apporteront mutuellement de quoi croître comme il faut, en recréant un petit écosystème. C’est dans ce but qu’il est en projet de planter à l’avenir des haies d’arbustes à fruits entre les rangs du jardin, haies qui auront donc une triple utilité : briser le vent, apporter à la terre et aux légumes des éléments dont ils ont besoin et produire eux-mêmes des fruits. Il est également en question de faire à l’avenir des buttes de permaculture.

L’après-midi, je prends un moment pour prendre des photos. L’église en construction étant fermée au public, je demande à un des ouvriers roumains avec qui je suis en bon terme s’il peut me faire rentrer. Il m’ouvre une petite porte latérale et me laisse découvrir l’église à ma guise pendant qu’il applique un produit faisant ressortir les bas-reliefs de l’iconostase (équivalent du chœur). Je suis stupéfait de la beauté du lieu : bas-reliefs aux murs et au sol, vitraux, pierres de différentes couleurs et textures, poutres peintes, tous les détails sont magnifiques ! Je prends le temps de discuter cinq minutes avec le peintre qui travaille sur le motif d’une poutre avant de ressortir, encore ébahi de ce que je viens de voir.

Je profite également d’une visite à l’atelier pierre pour réaliser un entretien avec Félix, avant d’aller assister au long office du samedi soir qui durera de 20h à minuit. Au cours du souper, j’aurai aussi l’occasion de rencontrer le père d’une des novices de la communauté, ancien catholique converti à l’orthodoxie depuis une vingtaine d’année : discussion passionnante sur les raisons de cette conversion.

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Le lendemain, je me rends à la Messe catholique au Carmel d’Uzès, puis reviens assister à la fin de la Messe orthodoxe à Solan. La chapelle est pleine de personnes de tous âges et conditions sociales. A la fin de la Messe, les sœurs offrent à chacun quelque chose à boire, tout le monde discute, l’ambiance est très joyeuse. Pour ma part, je me dépêche de retrouver le père Théotokis pour terminer notre entretien avant qu’il ne reparte à ses occupations. Nous discutons pendant trois quarts d’heure, jusqu’à ce que sonne la cloche annonçant le repas. Le dimanche, tout le monde partage le repas dans le grand réfectoire. Les hommes et les femmes sont sur des tables séparées, le repas se passe en silence, accompagné par une lecture spirituelle. Le menu est royal, le dimanche n’est pas Carême ! Le repas est assez rapide, tout est codifié : lorsque la cloche sonne à nouveau, il faut arrêter pour entendre les grâces et sortir en procession en recevant la bénédiction du prêtre ayant célébré la Messe.

Je passe l’après-midi à me promener dans le domaine en prenant quelques photos et à continuer l’écriture de mon reportage, avant d’aller prendre une pause en terrasse d’un bar d’un village voisin pour me changer les idées. Le repas du soir est également servi dans la grande salle-à-manger, bien qu’un peu plus simple que le déjeuner. Je conviens de mon heure de départ le lendemain avec la sœur hôtelière et lui remets une lettre de remerciements pour Mère Hypendia, l’higoumène du monastère. Une des sœurs, craignant de ne pas me voir avant mon départ, m’offre de la part de la communauté un sachet de pâtes de fruits et me remercie de mon aide de la semaine. Je suis extrêmement touché par ce geste, n’ayant pas forcément été très régulier au jardin à cause de mes entretiens.

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Le lendemain matin, après avoir rangé mes affaires et fait un coup de ménage dans ma chambre, il est l’heure de rendre les clés. C’est la sœur qui m’avait accueilli le premier jour et qui m’a accordé plus d’une heure de son temps pour réaliser l’entretien qui vient me raccompagner, toujours un grand sourire aux lèvres ! Je la remercie chaleureusement, lui remet les clés et la suis jusqu’à la lourde porte en bois du monastère qu’elle referme lentement derrière moi. Il me fait tout bizarre de quitter ce lieu auquel je me suis habitué et où j’ai découvert tant de choses ! Mais le soleil brille, la route m’attend, il n’est pas l’heure d’être triste ! Merci mes frères et sœurs !